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Livre. Qu’est-ce qui fait de ce territoire où elle a grandi un lieu aussi dur, dont on ne peut que souhaiter partir ? Comment dire ce pays de Centre-Bretagne saccagé par l’agro-industrie ? C’est par la poésie que l’autrice, partie puis revenue vivre dans la région de son enfance, raconte son territoire rural abîmé. Le tracteur par sa fenêtre qui laboure la terre jusqu’à ce qu’elle soit morte, les hangars qui se multiplient et les haies qui disparaissent, les corps qui s’abîment. Un espace destiné à produire pour nourrir la société, celle qui ringardise pourtant ses habitants, en fait des « ploucs », pour mieux les déposséder de leurs cultures en prétendant les moderniser.
Juliette Rousseau a le sentiment de faire partie d’une génération qui naît dans les ruines, après le remembrement qui a abattu arbres et haies, et qui n’a pas les mots pour se dire. Son livre Péquenaude (Cambourakis, 120 pages, 16 euros) travaille à exprimer ce manque, celui d’une campagne qui était façonnée par le bocage, animé de cultures paysannes vivantes, de langues quasi disparues ainsi que de pratiques de subsistance et de soin collectives.
Partant sur la piste des traces qui demeurent de cette aire détruite, l’écrivaine décline sa poésie en gallo et en breton, langues par lesquelles elle évoque les activités de subsistance – « bouiner » au jardin, pousser la « beurouette » – et les mots tendres – la « beuluette », l’étincelle, pour nommer son enfant. Elle part à la recherche des contours intimes des paysages et retrouve les souvenirs de son enfance, les sensations, la géographie du corps. C’est d’ailleurs par les corps meurtris, en commençant par le sien, qu’elle raconte le mieux ce qu’il est advenu de son environnement. Le livre, charnel, fait expérimenter cette résonance entre un corps et son milieu, explorant la question de l’appartenance.
L’écrivaine trouve refuge auprès des tombes révolutionnaires, celles de femmes qui ont subi la violence des hommes, meurtres et viols, et qui, une fois enterrées auprès des arbres qui les ont vues mourir, sont devenues des saintes populaires, réputées capables de guérir. Au pied de ces mortes, elle se demande ce qui a été perdu dans la capacité collective à prendre soin. Elle dit aussi la dureté d’être une femme en milieu rural, toujours dans cette ambivalence entre honte et fierté, entre assujettissement et lutte, qu’elle assène dès le titre de l’ouvrage en se réappropriant et en féminisant l’insulte de « péquenaude ».
Les cultures paysannes sont faites de traditions orales, d’histoires racontées auprès du feu ; le feu à allumer revient encore et encore dans le livre, comme le geste de subsistance premier. Arrachée par la destruction de son milieu de vie, Juliette Rousseau se réapproprie ce feu créateur qui lui a été dérobé et la possibilité de contempler son environnement. Et parvient à transmettre une littérature qui ressemble à une veillée, qui recrée de la communauté et nous lie à nos morts.
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